jeudi 16 février 2012

Postures réflexives

Postures réflexives des étudiants - Bienne, ADMEE 2009

Christophe Gremion – HEP-FR - (recherche en cours)

De notre côté, notre recherche a pour objectif de mettre en évidence l’influence que peut avoir une autoévaluation régulière des étudiants sur leur posture réflexive. Nous postulons que cet exercice permet une forme de médiatisation entre l’étudiant et ses expériences de terrain ainsi que dans son élaboration de liens entre la théorie et la pratique, tout en atténuant l’effet que peuvent avoir les différentes postures du mentor dans cette démarche. Le travail d’analyse n’étant pas terminé, il serait prématuré de vouloir présenter ici des résultats au niveau de l’influence de l’autoévaluation. Par contre, les premiers résultats liés à l’analyse des écrits des étudiants dans leur dossier d’apprentissage (DAP) peuvent être mis en lien avec les différents types d’entretiens (Niggli, 2005 ; Gervais, 1995) présentés plus haut ainsi qu’avec la désirabilité sociale.

Dans les travaux qu’elle a menés, Jorro (2005) met en évidence trois postures réflexives que peut adopter la personne qui s’autoévalue. Le reflet permet à l’auteur de décrire plus ou moins précisément son action mais le niveau de description très général et le ton d’évidence utilisés font souvent plus penser à une justification qu’à une analyse. L’interprétation permet à l’auteur de revisiter une situation en utilisant un ou plusieurs cadres de référence. C’est une posture qui permet de grandes prises de conscience et qui est souvent teintée par l’émotion du sujet. Enfin, la fonction critique régulatrice semble être la forme la plus aboutie de la réflexivité. Elle permet un questionnement permanent de sa propre action et le sujet planifie des aménagements ou des prescriptions à sa propre action.

Dans la démarche d’autoévaluation et d’écriture professionnalisante (Lafortune, 2009, p. 24) que la HEP-FR propose à ses étudiants, chacune des postures réflexives que nous venons de présenter brièvement devrait être présente. En effet, le canevas proposé pour l’analyse de situation demande une description détaillée de la situation, une analyse selon différents points de vue et des propositions de modifications ou nouveaux objectifs de formation.

Dans les textes que nous avons pu lire, force est de constater premièrement que peu d’entre eux révèlent d’une vraie écriture professionnalisante. Trois « stratégies d’évitement » semblent être utilisées. La première consiste à ne pas parler de sa pratique mais de celle du maître de stage. Dans ces écrits, l’auteur décrit la situation sans grande complaisance, porte un jugement sur l’action et, parfois, imagine de nouvelles solutions ou actions. La deuxième consiste à ne pas décrire un instant précis, mais une situation très générale. Elle est souvent rédigée à l’imparfait, comme si le sujet de l’action souhaitait s’en distancier, s’en dissocier. Enfin, une troisième stratégie consiste à proposer une rhétorique abstraite plus révélatrice de ce que l’auteur pense que le lecteur souhaiterait lire que de ce qu’il a réellement vécu en classe.

Ensuite, lorsqu’il y a reflet, nous pouvons parfois constater l’absence d’interprétation ou d’analyse. Plutôt que de passer par les trois stades reflet – interprétation – critique régulatrice, certains passent du reflet à la critique sans analyse, d’autres du reflet à la régulation sans analyse ni critique. Ces différentes postures peuvent influencer le style d’approche de la médiation adoptée par le mentor : il privilégiera une approche prescriptive lorsque la posture de l’étudiant n’est pas suffisamment critique, une approche interprétative lorsque l’étudiant ne s’engage qu’insuffisamment dans l’analyse de son action et une approche de soutien lorsque l’étudiant analyse et critique son action de manière convaincante.

Enfin, alors qu’un stage dure généralement 3 semaines et que le mentor ne passe qu’une ou deux heures au total dans la classe pour observer le stagiaire, il est très fréquent que les situations analysées dans les travaux de DAP se rapportent justement à ces visites. Nous pensons, mais ce ne sont là que des hypothèses, qu’il y a un lien entre cette observation et le carré dialectique de la socialisation proposé par Kaufman (2001) (annexe 3). La socialisation, selon l’auteur, est une recherche d’équilibre entre quatre pôles opposés que sont les habitudes (H), les cadres de socialisation (S), la réflexivité individuelle (RI) et la réflexivité sociale (RS). Lors du stage, l’étudiant évolue dans un environnement (S) bien particulier. Il mène des actions (H) qu’il a planifiées ou va analyser selon son point de vue (RI) et celui de son maitre de stage garant de la réflexivité sociale. Lors de la visite du mentor, qui lui représente un autre cadre de socialisation (S1), en l’occurrence l’institut de formation initiale, l’action est analysée par deux réflexivités sociales différentes (RS1) : celle « du terrain » représentée par le maitre de stage et celle « de l’institution de formation » représentée par le mentor. Les divergences entre ces deux pôles de référence amènent peut-être l’étudiant à choisir de décrire la situation vécue en présence du mentor afin de calquer son analyse sur la réflexivité sociale de l’institut de formation et non sur sa réflexivité individuelle ou sur celle de l’école qui l’accueille. Mais dans ce cas, sommes nous en présence d’autoévaluation, de réflexivité ou simplement de contrat social ?

Références

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Clot, Y. (2005). L’autoconfrontation croisée en analyse du travail : l’apport de la théorie bakhtinienne du dialogue. In L. Filliettaz & J.-P. Bronckart (Eds). L’analyse des actions et des discours en situation de travail. Concepts, méthodes et applications (pp. 37-55). Louvain-La-Neuve : BCILL.

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Kaufmann, J. (2001). Ego. Pour une sociologie de l'individu. Paris: Hachette Littérature. 

Jorro, A. (2005). Réflexivité et auto-évaluation dans les pratiques enseignantes. Revue Mesure et évaluation en éducation, 27(2), 33-47. 

Lafortune, L. (2009). Un journal d’accompagnement d’un changement comme outil d’écriture réflexive professionnalisante. In F. Cros, L. Lafortune & M. Morisse (Eds.). Les écritures en situations professionnelles (pp. 13-39). Québec: Presses de l'Université du Québec.

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